le paradigme de la tarte aux poireaux... 13 mai 2022

L’écologie ça commence par ce qui arrive dans notre assiette, mais combien nos produits du quotidien coûte-t-ils réellement à la planète ? rapportent-ils aux paysans ? (ou plutôt, ce qu’ils devraient rapporter).


Par Laetitia Vibert, 26 ans.

Aujourd’hui, j’aimerais vous parler d’une tarte aux poireaux…

Moi qui ne mets plus les pieds dans les supermarchés et grandes surfaces depuis de nombreuses années, je me suis retrouvée, il y a quelques mois, un peu par la force des choses, devant le rayon des surgelés d’une chaîne de grande distribution.
Parmi les pizzas, quiches et autres plats tout préparés, il y avait là une tarte aux poireaux… à 1€79… Je me suis frotté les yeux et j’ai demandé s’il n’y avait pas un problème d’affichage des prix, mais non, cette tarte était bien à 1.79€… La tarte aux poireaux, je connais bien, c’est simple, super bon, et j’en cuisine souvent… Alors certes, je suis la première à vanter le fait maison, et à dire qu’il ne faut pas acheter de produits transformés, et que cuisiner soi-même revient moins cher. Me serais-je trompée ??
Et si on regardait plus en détails ? Cette tarte aux poireaux coûte-t-elle réellement 1.79€ ?

Déjà, pour faire cette tarte, il a fallu -liste des ingrédients à l’appui- des poireaux (ouf), du blé pour la pâte, ainsi que des œufs, de la crème fraîche, du fromage blanc, de l’emmental, mais aussi de l’huile de colza, et des agents texturants ou organoleptiques : farine de riz, fécule de pomme de terre, lactose et protéines de lait, lait écrémé en poudre, dextrose (c’est-à-dire sucre) et des extraits d’épices (!).
Le blé, malheureusement, a probablement été importé, car moins cher que le blé français. L’origine des poireaux n’est pas spécifiée, mais ils peuvent provenir de n’importe où, ayant été réfrigérés et transportés par camion jusqu’à Rungis avant d’être redistribués vers les centres de fabrication… Idem pour le lait, la crème fraîche, le fromage blanc et l’emmental. Si ce n’est pas du lait importé d’un autre pays d’Europe, il peut provenir de n’importe où, collecté puis transporté pour être transformé dans des laiteries industrielles…
Cette tarte, elle a été fabriquée sur des machines, puis surgelée, emballée, transportée et stockée à -18°C avant de passer en caisse. L’emballage, parlons-en… Une caissette en alu, un emballage plastique, et un suremballage en carton. Chacun de ces emballages a nécessité de la matière première, a engendré des coûts énergétiques de fabrication et d’impression, et engendreront des coûts de transport et de traitement une fois le produit consommé : tri et recyclage dans le meilleur des cas, mais bien souvent incinération…
Sans compter les coûts annexes liés au marketing !! Toute une équipe a planché sur l’emballage, pour que celui-ci ait un aspect attrayant à l’œil, jusqu’à réfléchir à sa place dans les rayonnages !

A contrario, en achetant local, je peux diviser au moins par 10 les coûts liés au transport : au lieu d’être acheminés par avion, bateau ou camion sur des centaines de kilomètres, mes œufs, mes poireaux et mes produits laitiers, achetés à des producteurs locaux, n’ont même pas traversé le département. Et ainsi, en achetant des légumes de saison, j’évite de promouvoir des modes de cultures sous serres chauffées et illuminées, très gourmandes en énergie. Idem pour la farine, achetée en vrac, qui, grâce à l’engagement de mon épicerie de fournir au maximum des produits locaux, n’a pas parcouru plus de 100 km.
On pourrait aller encore plus loin en prenant des poireaux du potager et des œufs des poules du jardin, mais malheureusement, mon potager n’a pour l’instant que des herbes aromatiques et je n’ai pas (encore) de poules !
Pas d’additifs, de conservateurs, pas de fécule de maïs, donc exit les coûts de transformation, incluant la culture des matières première (dont la quantité d’eau demandée par le maïs…), leur transport, le process de transformation, et l’acheminement vers les centres de transformation agro-alimentaires…
Je réalise ma tarte à la main, et chez moi, donc exit les coûts énergétiques des machines de chaînes de production, exit le coût énergétique de la surgélation, exit le coût énergétique de la conservation, du transport et du stockage à -18°C, et exit le coût du transport vers les centres de distribution (voire d’approvisionnement puis de distribution), et surtout, exit les emballages, et leur traitement ! C’est l’avantage du panier à légumes, du vrac et des bocaux réutilisables !
On continue ? Qui et comment rémunère les agriculteurs, et les producteurs de matière première ; les ouvriers des chaînes de production ; les transporteurs ; les salariés invisibles des grandes surfaces ??? Comment le producteur de poireaux peut-il recevoir un salaire décent au prix que l’on paye pour cette tarte ?
Reste la cuisson et la vaisselle, des coûts que je verrai apparaître sur mes factures de gaz/électricité et d’eau. Ces derniers sont probablement plus élevés pour moi, compte tenu des économies d’échelle que font les chaînes de production agro-alimentaires. C’est pour cela que lorsqu’on allume le four, on peut essayer de faire cuire un maximum de choses ensemble, afin d’optimiser la dépense énergétique !

Cette approche, intégrant l’ensemble des composants d’un produit, de sa production jusqu’au traitement des déchets générés, s’appelle l’analyse du cycle de vie. C’est une démarche encore trop peu utilisée notamment dans la grande distribution.
Je ne veux absolument pas faire la morale, ni avoir l’air de me « vanter » de faire « mieux », seulement, en vous donnant cet exemple concret, j’aimerais vous montrer l’importance des coûts cachés, et pourquoi le fait maison revient, effectivement, moins cher.

En conclusion, même si l’on a l’impression de ‘moins payer’, même sans chiffres exacts, le coût réel du produit est finalement bien plus élevé que ce qui est écrit sur l’étiquette. Et tant que cela ne changera pas, tant qu’on ne mettra pas un terme à ces coûts cachés, qu’on ne reviendra pas sur un système de circuits courts, favorisant les produits frais, locaux et de saison, qu’on continuera à proposer des produits ultra-transformés*, on ne pourra pas avancer. Et on continuera à croire qu’une tarte aux poireaux surgelée coûte 1.79€…

PS : je partage volontiers ma recette de tarte aux poireaux, si certains veulent mettre les mains à la pâte pour réduire les coûts cachés !

*Selon la classification NOVA et l’Observatoire des aliments, les aliments ou produits ultra-transformés (AUT/PUT) sont des produits issus de procédés et de formulations industrielles, composés de substances et d’additifs d’origine alimentaire, contenant souvent peu ou pas d’aliments bruts. Autrement dit, dont la liste contient au minimum 5 ingrédients, dont beaucoup ne sont pas utilisés en cuisine ‘traditionnelle/maison’ (les fameux Agents Cosmétiques et Économiques, utilisés pour améliorer artificiellement la texture, l’aspect, la couleur, l’odeur, la saveur, la durée de conservation des aliments fabriqués, tout en réduisant le coût de leur fabrication. Plus un aliment est transformé, et plus son impact sur la santé est mauvais. Ces aliments représentent 50 à 80% de l’offre en supermarchés et en moyenne un tiers de l’alimentation des Français, et la tendance est à l’augmentation.